Par Claire le 26/07/2020 dans Moi et les autres
Ça y est, vous êtes décidé et motivé : vous allez parler de votre prise de conscience du dérèglement climatique et de la crise écologique. Votre but : convaincre les autres afin qu’on soit de plus en plus nombreux à agir.
Voici quelques conseils pour que votre message soit bien reçu par votre interlocuteur.
Ne pas essayer de convaincre à tout prix
Même si vous êtes convaincu du bien fondé de ce que vous avancez et que vous souhaitez rallier votre interlocuteur à vos propos, il est important de ne pas être moralisateur et de ne pas essayer de convaincre l’autre en argumentant et en essayant de faire évoluer sa position.
Il a en effet été montré (Miron et Brehm, 2006) que si une personne éprouve un sentiment de restriction de liberté, par exemple parce qu’elle a l’impression qu’on essaye de la contrôler ou de lui imposer un comportement, cela va entraîner un phénomène de réactance psychologique (état émotionnel orienté vers un recouvrement de sa liberté). Cette réactance va entraîner des effets contraires à ceux qu’ils sont supposés développer : atténuation de l’effet du message voire rejet complet.
Il est souvent ainsi plus efficace de procéder par petites touches, de laisser à l’autre le temps d’appréhender ce que vous êtes en train lui dire, de lui permettre d’être capable ou d’être prêt à entendre les informations que vous partagez avec lui. On est en effet tous différents y compris dans la manière dont on écoute puis dont on digère les informations.
Une bonne façon de faire peut-être alors de simplement parler des actions dans lesquelles vous vous êtes lancé. Cela permet de sortir des injonctions (tu devrais, il faut…) pour passer sur un registre différent, celui de l’imitation ou de l’inspiration qui sont des ressorts puissants pour les animaux sociaux que nous sommes.
Une autre idée, lorsque la situation s’y prête, est de simplement parler de vos craintes et de votre écoanxiété, sans chercher à convaincre, en parlant simplement de vous. Si l’atmosphère est à la bienveillance, il est probable que la personne en face de vous vous posera des questions pour comprendre pourquoi vous avez ces angoisses. Profitez de l’occasion pour avancer quelques faits, pour en expliquer les conséquences. Sans chercher à convaincre l’autre, en restant sur le terrain de l’explication de ce qui vous affecte y compris lorsque vous répondez à ses contre-arguments, il y a des chances que vous réussissiez à distiller un peu de votre message. Agissez par petites touches, ne soyez pas pressé, vous irez plus loin une prochaine fois lorsque votre première discussion aura fait son chemin.
Faire peur pour déclencher une réaction : pas forcément une bonne idée
Parler du dérèglement climatique et de ses conséquences peut générer de la peur chez votre interlocuteur. Nous pouvons provoquer cette peur involontairement, par exemple par les termes que nous employons (comme effondrement, famine...). Nous pouvons aussi être tentés de faire naître ce sentiment de manière volontaire par des discours particulièrement catastrophistes dans l’idée que cette peur va faciliter la persuasion.
Attention pourtant avec la peur : il a été montré que les personnes qui sont exposés à un message fortement anxiogène ont tendance à être ceux qui modifient le moins leurs attitudes par rapport aux faits exposés (Janis et Feshbach, 1953). Il s’agit d’un mécanisme de défense qui se rapproche du déni. Il survient lorsque la personne n’est pas capable de prendre en compte le contenu du message car il est trop anxiogène. Si la communication par la peur peut éventuellement augmenter la prise de conscience, elle peut en revanche diminuer les comportements bénéfiques.
D’autres recherches (Baas et al., 2008) montrent aussi que la peur et le stress nous rendent moins créatifs pour chercher des solutions. Trop de peur, tétanise. Trop de peur peut aussi rendre agressif. Comme l’indique Dominique Bourg, la peur est un moment qui est nécessaire dans une conduite adaptative mais, ce qui devient pathogène, c’est si l’on se focalise sur la peur car la peur nourrit la haine. La peur n’est bonne que si elle débouche sur une relation de coopération quand on est face à un danger.
La peur peut néanmoins être utilisée si on arrive à la maintenir sur un terrain rationnel et non émotionnel. C’est par exemple le cas lorsqu’on arrive à faire prendre conscience à un chef d’entreprise des risques encourus par son organisation si la crise climatique et écologique est telle qu’elle déréglera profondément le système social et économique.
Donc il faut communiquer sur les aspects positifs ?
Les messages bienveillants, pédagogiques et non culpabilisants passent mieux. Ils génèrent beaucoup moins de peur qui peut mener à la sidération ou au rejet. L’espoir réaliste, c’est-à-dire basés sur les aspects positifs sans occulter ce qui va mal, est plus efficace que le pessimisme pour amener les personnes à agir (Ojala, 2011). Pour se mettre en mouvement, les personnes ont besoin d’un équilibre entre des émotions négatives et positives. Il faut de l’espoir pour chercher des solutions et investir de l’énergie dans l’action. Les émotions positives créent une motivation pour affronter les difficultés.
Néanmoins, plus on communique sur l’existence de solutions donnant de l’espoir, plus il y a risque que les personnes ne changent pas leur comportement en se disant que ça n’est pas grave s’ils continuent comme aujourd’hui puisqu’il y a des solutions qui permettront d’éviter le pire demain.
On fait comment alors ?
Communiquer de manière bienveillante
Sauf à l’édulcorer au point de lui enlever tout contenu, le discours sur le dérèglement climatique et la crise écologique est par nature anxiogène. Pour que la personne à qui s’adresse notre message soit capable de l’entendre, il faut se mettre à sa portée émotionnelle et dans son timing. Il faut donc adapter ses propos quitte à les tempérer dans un premier temps, échanger avec bienveillance pour accompagner la personne dans sa prise de conscience, s’adapter à ce qu’elle est en capacité d’encaisser.
Choisir ses mots
Tous les mots ne résonnent pas de la même manière à nos oreilles. Parler de réchauffement climatique, perturbations du climat, dérèglement du climat ne vont pas déclencher les mêmes associations chez votre interlocuteur. Si le climat se réchauffe, on peut se dire “Ok, il va faire un plus chaud, ça sera un peu pénible l’été”, avec le terme “perturbations”, on comprend qu’il n’y a pas que la température qui sera impactée, par exemple, les pluies aussi le seront, mais le terme semble rendre possible un retour à l’équilibre initial. “Dérèglement” indique à la fois que plusieurs aspects du climat sont touchés mais aussi que le retour au stade d’avant est sérieusement compromis voire impossible. Autre exemple, le terme “compensation carbone” est plus acceptable, voire valorisant, que “taxe carbone”.
Attention aussi à l'utilisation de certains termes techniques qui peuvent ne pas être compris ou être compris à l’envers. Par exemple, parler de rétroaction positive peut sembler indiquer une amélioration alors qu’il indique un effet d’emballement. A titre d'exemple, la fonte de la banquise crée une rétroaction positive car, au fur et à mesure qu’elle fond sous l’effet de l’augmentation de la température de l’eau, elle laisse place à de l’océan, plus sombre et qui capte plus la chaleur, et ça fond encore plus vite.
Montrer que des choses sont faisables
Il a été montré de nombreuses fois (par exemple Ajzen dans sa théorie du comportement planifié ou Witte ) que, pour agir face à la peur, les personnes doivent se sentir capables de mettre en place un comportement leur permettant d’éviter cette menace (on parle de contrôle perçu ou de sentiment d’auto-efficacité).
Comme l’indiquent Blondé et Girandola (2016), “Si la peur doit être suffisamment forte pour qu’elle motive au changement, il est nécessaire de garantir un sentiment d’efficacité tout aussi important afin que les individus canalisent l’anxiété ressentie et assurent leur protection face à la menace. Sans ressources suffisantes pour se protéger, la peur conduit à l’émission de réponses défensives et au maintien des comportements non-souhaités. Par conséquent, si on peut faire « appel à la peur » pour motiver au changement, il est impératif de rassurer simultanément.”
Si on fait peur aux personnes et qu’on ne leur donne pas de pistes d’action et d’espoir, ils seront juste tétanisés. Derrière un message anxiogène, il faut donner des pistes d’action et, encore mieux, les compléter en donnant à la personne des outils pour identifier les pistes qui lui conviennent le mieux.
Plus haut ainsi que dans d’autres articles comme "Comment gérer mon anxiété", "Je ne suis pas seul", "Je voudrais me mettre en action", et "En parler autour de soi, ou pas ?", nous avons évoqué l’importance de parler de ce que nous avons mis en place à titre individuel. Mais, au-delà des pures actions, n’hésitez pas à parler aux autres de vos ressentis, de votre écoanxiété, de la manière dont vous y faites face, de ce que ça vous a conduit à déployer pour agir contre le dérèglement climatique et la destruction de la Nature et du vivant. Cela peut vraiment aider les gens. Cela leur montre qu’ils ne sont pas seuls à ressentir cette angoisse et cela leur montre que la situation peut être source d’espoir.
Montrer que les conséquences du dérèglement climatique vont nous toucher personnellement
Notre fonctionnement cognitif nous conduit à considérer qu’un phénomène est menaçant s’il présente un certain nombre d’attributs. Il faut que ce phénomène soit perçu comme incontestable, concret et immédiat (Kahneman, 2011).
Le problème est que les conséquences du dérèglement climatique et de la destruction de l’environnement ne sont souvent pas perçues comme rentrant dans ces critères. Lors de nos discussions, il est donc utile de montrer que nous et nos proches allons être impactés personnellement par ces dérèglements. Voici quelques pistes visuelles concernant l’évolution du climat :
- Le site Show Your Stripes donne une illustration visuelle de l’évolution des températures moyennes annuelles du globe de 1850 à nos jours. Voici l’évolution pour la France :
- Illustration de ce qu’a représenté un réchauffement de 5°C : https://youtu.be/4NHcj1pO5oQ?t=265
S’adapter à son interlocuteur
On l’a déjà évoqué : pour réussir à faire passer son message, il faut non seulement trouver ce qui parle le plus à votre interlocuteur mais réellement s’adapter à son interlocuteur. J’y reviens plus longuement dans l’article "Comment en parler autour de soi : s'adapter à son interlocuteur".
En résumé
Ne pas faire
- N’essayez pas de convaincre à tout prix : votre interlocuteur risque de rejeter votre discours pour garder sa liberté,
- Attention si vous cherchez à susciter la peur avec des arguments catastrophistes : un discours trop anxiogène peut renforcer le déni,
- A l’inverse, ne soyez pas trop positif en mettant l’accent sur l’existence de solutions car il y a alors le risque que les personnes ne changent pas leur comportement.
Mais faire plutôt
- Procéder par petites touches, parler de vos craintes, de ce que vous avez mis en place,
- Communiquer de manière bienveillante en choisissant les mots qui indiqueront le degré d’urgence sans paniquer votre interlocuteur,
- Montrer que changer nos modes de vie et agir est faisable, puisqu’on l’a fait, même si ça n’est pas tous les jours facile,
- Montrer que nous serons personnellement touchés par le dérèglement climatique et la crise écologique.
Si vos difficultés vous empêchent de bien fonctionner, n’hésitez pas à rencontrer un.e psychologue même ponctuellement.